Web Media Stratégies

Le coup d’envoi a été donné par Roland Garros et le Tour de France 2009

Jusqu’à peu les retransmissions d’événements sportifs sur Internet étaient assez décevantes. Pourtant le contenu de qualité était là : Canal + avec des matchs de foot (Juve c/ Barça) ou de rugby (Stade Français c/ Biarritz Olympique)  prestigieux ou encore France Télévision avec les JO. Mais ces retransmissions posaient toujours les mêmes problèmes pour les utilisateurs :

• des temps d’attente avant affichage longs liés à la mise en cache du flux vidéo (buffering)
• des arrêts intempestifs en cas de congestion soudaine du réseau, qui demandaient une nouvelle mise en cache (rebuffering)
• des erreurs « fatales » et définitives causées par la saturation des serveurs de streaming

Plus de la moitié des utilisateurs se déclaraient frustrés par la retransmission d’événements sportifs sur Internet.

Le travail fait par France Télévision (et ses partenaires) sur le tournoi de Roland Garros et le Tour de France montre qu’il est possible de proposer un service autrement meilleur, supérieur à ce qu’offre la télévision par bien des aspects.

Ces interfaces en Haute Définition (HD) sont rendues possibles grâce au Smooth Streaming offert par la version 3 du Silverlight de Microsoft.

Examinons tout d’abord les gains pour l’utilisateur avant de nous pencher sur les procédés techniques mis en œuvre.

Une expérience utilisateur sans commune mesure

Ce qui frappe dès le début avec ces retransmissions, c’est la qualité exceptionnelle de l’image : de la HD en 1080 entrelacée avec 24 images par seconde et encodée en 3 Mbit par seconde. Une qualité qui vient tout juste d’arriver sur nos télés avec la TNT HD, pour ceux qui ont la chance de posséder un écran compatible.

Voici un instantané pris lors du match Ouanna contre Safin, une image presque parfaite :

De plus, quand la qualité de votre liaison baisse, le débit s’adapte automatiquement et vous propose, sans aucune interruption, une image de qualité inférieure. Et le débit remonte dès que la qualité de la ligne revient à la normale.  Dans l’exemple ci-dessous, j’ai artificiellement simulé une surcharge de ma ligne, on voit le débit évoluer sur le petit graphique en bas à gauche.

Ensuite, il y a les petits plus liés à l’internet. Pour Roland Garros, on pouvait appeler un petit applet montrant l’évolution des scores pour les différents matchs en simultané :

Pour le Tour de France, il y a  l’affichage du détail de l’étape du jour et du moment où nous en sommes de la retransmission :

Tout ceci est déjà sympathique, mais la fonctionnalité qui change tout, c’est le Contrôle du direct. Vous pouvez à tout moment :

• appuyer sur Pause et reprendre la visualisation à ce moment (Time Shifting)
• revenir en arrière à n’importe quel moment depuis que l’émission est diffusée. Comme si vous étiez en train de regarder une émission enregistrée sur votre magnétoscope. Nous verrons infra que FT a en effet un magnétoscope sur le réseau, un Network Video Recorder (NVR)
• Revenir à tout moment au Direct

Voilà comment France Télévision présente le procédé :

Ce qui est encore plus remarquable, c’est que tout ceci se fait pratiquement sans aucun temps d’attente lié à la mise en cache (buffering). Vous déplacez votre souris sur la time line et presque instantanément une image apparaît.

Au début, celle-ci est de qualité moyenne, mais rapidement et progressivement elle s’améliore pour atteindre la qualité maximale permise par votre ligne. C’est toute la magie Smooth Streaming. Passons donc en coulisse…

De tous petits paquets HTTP mis en cache dans un CDN

Quand vous appelez un flux en streaming classique, l’application détermine généralement au préalable le débit de votre ligne ADSL (ou autre) et vous envoie le flux ad hoc en direct.  Le player met généralement en cache quelques secondes pour éviter les coupures, puis la vidéo commence à s’afficher dans sa qualité finale. Vous restez collé au direct et à la qualité qui vous a été attribuée.

La solution est le plus souvent propriétaire de bout en bout. Voilà comment Move Networks, un acteur important du Smooth Streaming, illustre les streaming classiques :

Pour le Smooth Streaming (que Move Networks appelle l’Adaptive Stream), le flux vidéo initial est, à la volée :

• encodé en plusieurs qualités, correspondant à autant de débits (de 4 à une dizaine suivant la souplesse désirée) ;
• chaque flux est ensuite coupé en petits paquets HTTP, correspondant à quelques secondes de vidéos, qui peuvent être stockés, mis en cache et envoyés au client sur des serveurs HTTP classiques ;
• contrairement au streaming classique, qui utilise le plus souvent une unique connexion RTSP ou TCP, les flux sont envoyés en ouvrant de multiples connexions TCP, puis les petits paquets sont ré-assemblés dans le bon ordre.

En résumé, alors que pour le streaming classique, le flux passait par une voie unique et était tributaire du moindre ralentissement, avec l’adaptive streaming, le flux passe par une 4×4 voies.

Ce qui fait toute la beauté de la chose, c’est surtout que :

• le player (Silverlight ou Move) est intelligent et qu’il décide tout seul et à tout moment où il va chercher les paquets, s’il doit aller chercher des paquets correspondants à une meilleure qualité ou au contraire à une qualité plus faible
• comme ces paquets sont des paquets HTTP standards, ils peuvent être stockés dans n’importe quels serveurs de cache, tels qu’il en existe partout sur le réseau Internet, pour accélérer le téléchargement des pages, des images ou même des vidéos que vous téléchargez sur Youtube. Ce sont les CDN (ou Content Delivery Network), que des sociétés comme Akamai ou Level 3 louent aux sites Internet

Quand France Télévision diffuse un mach de Roland Garros ou une étape du tour de France, elle envoie ses paquets sur le serveur cache de Level 3. Et ces serveurs gardent tous les paquets, correspondants à toutes les secondes et à toutes les qualités, en mémoire. C’est ce qui fait que vous pouvez accéder très rapidement à des moments déjà passés de l’émission.

Voici comment France Télévision et Microsoft ont illustré le procédé dans leur communiqué de presse :

En conclusion

L’Internet est maintenant à même d’offrir techniquement des solutions mûres proposant une expérience innovante pour la diffusion d’événements live, supérieures à celle de la TV.

Attendons-nous donc à voir fleurir ce genre de retransmissions, d’autant que les principaux acteurs (Microsoft, Adobe, Move Networks) sont en train de se mettre d’accord avec les détenteurs de droit sur les formats de DRM, ce qui permettrait à terme de monétiser ces diffusions sur le Web.

Cependant, avec l’arrivée de ces solutions, les opérateurs télécom vont être confrontés à de nouveaux défis.

Les vidéos mises en ligne par les utilisateurs (UGC – User Generated Content) sur Youtube ou DailyMotion, représentaient une part déjà importante du trafic sur leurs réseaux ; et ces nouveaux flux vidéos liés à des services premium vont ajouter une charge supplémentaire, d’un type nouveau.

Pour exemple, le graphique ci-dessus présente une augmentation forte du trafic streaming vidéo lors d’un match auquel participait Gaël Monfils. On voit que l’augmentation de la charge est rapide, importante et instantanée. Pour un opérateur télécom, qui doit dimensionner son réseau, c’est le type de trafic le plus gênant et le plus cher à absorber.

Les opérateurs vont donc être contraints d’investir massivement pour absorber ces nouveaux flux (et pourquoi pas enfin la fibre…), alors que d’autres, les médias, en tireraient les bénéfices. On touche un point très sensible qui met en péril la fameuse « Neutralité du Net ». Pour ceux qui sont intéressés par cette notion et ses implications, je les renvoie vers une présentation faite récemment par  Benjamin Bayart, le président du FAI French Data Network, lors des 10^e Rencontres Mondiales du Logiciel Libre.